La date d’ouverture de l’exposition au
public le 5 octobre n’est pas un choix anodin.
En effet, le matin du 5 octobre 1914, le
sergent Joseph Frantz et son mécanicien-mitrailleur, le caporal Louis Quenault,
de l’escadrille V-24, montent à bord de leur biplace Voisin LA-3, et décollent
du terrain de Lhéry dans la Marne. Leur mission
est de larguer six obus de 75 sur les lignes allemandes.
Leur avion, un Voisin LA-3, a été
équipée d’une mitrailleuse Hotchkiss montée sur trépied à l’avant du fuselage
(le moteur étant sur ce modèle à l’arrière).
Encore au-dessus des lignes françaises,
à un peu plus de 2 000 mètres d’altitude, ils croisent un Aviatik allemand
avec deux hommes à bord, le sergent Wilhem Schlichting, pilote et le lieutenant
Fritz von Zangen, observateur. L’avion allemand est équipée d’une unique
carabine.
Le sergent Frantz engage le combat. Cela
n’est pas facile, car il faut s’approcher très près de l’appareil ennemi et
dans l’axe afin de permettre à Quenault de bien viser. De plus, la mitrailleuse
tire au coup par coup et le risque d’enrayement est grand. Mais l’Aviatik va
quand même leur faciliter la tâche. Celui-ci est lourd et l’empennage à l’arrière
limite considérablement l’usage d’une arme.
Pendant près de 15 minutes, Quenault va
tirer à 47 reprises tandis que Frantz poursuit et s’aligne patiemment derrière
l’Aviatik. Alors que la mitrailleuse française s’est enrayée, l’Aviatik se
cabre, bascule sur la gauche et pique droit vers le sol, où il s’écrase dans un
marais à proximité de Jonchery-sur-Vesle.
Le combat a été suivi depuis le sol par
beaucoup de soldats, dont le Général Franchet d’Esperey.
Le sergent Joseph Frantz et le caporal
Quenault viennent de remporter la première victoire aérienne de l’histoire.
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(Frantz et Quenault) |
Je vous propose une petite visite de
cette exposition pour laquelle il faudra vous déplacer aussi, car elle en vaut
vraiment le coup.
La visite se tient pendant les heures d’ouverture
du musée, c'est-à-dire du mardi au dimanche de 10h à 17h (fermeture tous les
lundis, le 25 décembre et le 1er janvier).
L’exposition temporaire est payante pour
les adultes et enfants de plus de 12 ans (gratuite pour les plus jeunes).
Elle est située dans le ‘’Salon Dolfuss’’
au niveau de la magnifique salle aux colonnes et de la galerie précurseurs de l’aviation
dont une bonne partie retrace aussi la guerre de 1914-1918).
L’approche de cette exposition étant le
regard des aviateurs durant cette guerre, une large part est faite à la
photographie aérienne, ainsi qu’aux récits et objets personnels des pilotes,
dont la plupart seront ici exposés pour la première fois.
Des dispositifs sensoriels (ouïe, odorat
et toucher) permettront aux visiteurs d’appréhender d’une autre façon ce que
vécurent ces aviateurs, avec des lectures spécialement enregistrées de
témoignages, d’objets à toucher, etc … Cette exposition est aussi faite pour
favoriser l’accès des personnes en situation de handicap, afin que LA GRANDE GUERRE DES AVIATEURS soit
partagée par tous.
Reprenons les huit tableaux de cette
visite :
Observateurs
L’avion est considéré par les
états-majors comme un outil d’appoint. Ce n’est d’ailleurs qu’a partir de 1912,
que l’armée forme officiellement des pilotes. L’Armée de l’Air n’existe pas
encore. L’avion n’est utilisé qu’en complément des entités de l’armée française
(la Marine, Terre, Air = ballons et dirigeables).
Au début d’août 1914, l’armée possède
environ 140 appareils affectés quasiment tous à la reconnaissance. Devenu au début
moyen d’observation complémentaire des renseignements au sol, l’avion devient
moyen d’observation essentielle lorsque le front se stabilise dès l’automne
1914. En effet, cette ‘’guerre de position’’ va obliger les états-majors des
deux camps, à avoir une connaissance extrêmement précise des positions de l’adversaire.
Seul l’avion, grâce à la photographie aérienne, va pouvoir aider efficacement
dans cette collecte d’information.
Ces missions de reconnaissance sont
extrêmement dangereuses. Les appareils sont lents, et sont des cibles faciles
pour les défense-antiaérienne et la chasse ennemie. Pendant cette guerre, il y
eu en France environ 2 000 militaires brevetés observateurs – 40% d’entre
eux trouvèrent la mort.
Moins médiatique que la chasse auprès du
public, le rôle des observateurs a été néanmoins essentiel et capital.
Bombardiers
Dès septembre 1914, une aviation de
bombardement est organisée, même si en août, il y avait déjà eu des tentatives
de bombardement avec des obus largués à
la main.
L’avion devient alors une arme
psychologique. La violence du champ de bataille se transporte en dehors de la
zone de front.
Le ‘’métier’’ de bombardier est aussi
très dangereux. Au début de la guerre, les avions sont lourds et peu maniables.
Il faudra attendre vers 1917-18 les vrais premiers bombardiers dignes de ce nom
et conçus pour cette tâche, comme le Breguet XIV.
Mais il aussi très éprouvant pour les
nerfs des pilotes. Beaucoup d’entre eux se posent des questions sur les
conséquences de leurs actes (tuer des civils, des femmes, des enfants, détruire
des maisons amies, etc …).
Certains font part de leur peur de tuer,
alors que d’autres vont décrire des sentiments de jouissance de destruction.
Chasseurs
La Chasse est certainement le côté le
plus célèbre et le plus médiatique de l’aviation de la première guerre
mondiale. Et pourtant, elle n’existe pas au début de la guerre.
Avec le succès de la reconnaissance
aérienne et son indispensable nécessité reconnue par les états-majors, l’avion
devient une arme, non plus complémentaire, mais une arme à part entière. La
reconnaissance est comme on l’a vu indispensable. Et c’est pour empêcher les
missions de reconnaissance par l’aviation ennemie que la chasse est née.
La première escadrille française
consacrée à la chasse est créée en février 1915 sous l’impulsion du commandant
Charles Tricornot de Rose.
Le rôle du chasseur est d’empêcher les
observations de l’ennemi. Il faut donc se montrer intraitable, dur, parfois
cruel. Et pour contrer les chasseurs, il faudra d’autres chasseurs. La
médiatisation va ensuite faire de ces chasseurs, des héros, des ‘’As’’. On y
reviendra dans une autre étape de la visite.
Epreuves, souffrances
Contrairement aux idées reçues, et à l’image
que les médias et l’état-major des armées leur donne, la vie des aviateurs est
extrêmement difficile.
Certes, ils ne sont pas dans les
tranchées, et ils sont au-dessus du front, mais à chaque mission, un aviateur,
comme ses frères d’armes au sol, ne sait pas s’il reviendra.
Ils doivent d’abord affronter le froid,
que même des vestes de fourrures ou des triples gants, ne parviennent pas à
atténuer. Ensuite, ils doivent aussi affronter le mauvais temps, les
turbulences, le fait de changer d’altitude tout le temps. Puis l’ennemi par une
défense anti-aérienne, ou par avion. L’aviateur doit tout le temps être
vigilant, aux aguets, doit tout le temps tout surveiller. Il doit affronter
aussi le risque de panne mécanique, etc … Chaque vol, pour certains, est un
véritable calvaire…
Le corps de ces jeunes hommes en subi le
coup, et les pilotes souffrent beaucoup dans leur chair mais aussi dans leur
tête. Ils paraissent être de joyeux fêtards, alors qu’en fait, cela masque leur
angoisse. La mort est dans leur sillage. Et en plus, pour des raisons de
sécurité (afin de ne pas se faire faire prisonnier en zone ennemi), le
parachute leur est interdit.
On a vu plus haut que 40% des
observateurs y ont laissé leur vie, et environ 15% des chasseurs.
Aviateurs et industriels
L’avion étant devenu une arme
essentielle, il a fallu très vite le moderniser, l’armer au mieux afin qu’il
réponde aux pilotes et aux missions qui leurs sont confiées.
Le rôle des pilotes est prépondérant
dans l’évolution incroyable de l’aviation militaire pendant la 1ère
guerre mondiale. La mise au point de la mitrailleuse qui tire à travers l’hélice
avec la participation plus qu’active de Roland Garros en est un exemple. Ou
alors les échanges entre les constructeurs d’avions et les pilotes (le fameux
Spad est un autre exemple).
Et enfin, la naissance d’une véritable
industrialisation de la construction de l’avion militaire et de son armement,
qui est passé de quelques appareils de construits par jour en 1914 à plusieurs
centaines par jour en 1918.
La vie en escadrille
La vie en escadrille est une forme de
vie en ‘’vase clos’’ loin de la vie des soldats du front. Les terrains d’aviation
(on ne parlait pas encore de base) sont relativement éloignés, ce qui fait que
les pilotes ont longtemps eu l’étiquette de ‘’priviligié’’.
Ces terrains aussi devenaient des
petites villes car outre les pilotes et leurs machines, il a fallu amener sur
place tout le personnel aidant à l’entretien des avions, leur approvisionnement,
etc …
Certaines de ces escadrilles avaient
aussi un bar, le fameux bar, où se retrouvaient les pilotes le soir venu, du
moins ce qui rentraient. Un mode de vie se développe, où la camaraderie tient un
rôle important, bien plus important que les grades. Une sorte de fraternité de
l’aviation était né.
Honneurs et propagande
L’état-major comprit très vite comment
utiliser le succès des pilotes, quasiment tous des chasseurs, auprès de la
population civile. Des honneurs et décorations, parfois (et même souvent selon
certains) très au-dessus du véritable mérite, ont été octroyés à ces pilotes.
Les journaux vantaient leurs exploits. Un
culte du héros naissait.
Avec la venue de la mitrailleuse
synchronisée, venait aussi le chasseur monoplace, qui permettait une
personnalisation et une individualisation immédiate du pilote auprès du public.
Le terme As, issu du jargon des pilotes,
devint le mot à la mode.
Une véritable compétition, aussi par journaux interposés,
s’établit. Un As était un pilote qui avait cinq victoires reconnues. Il y a eu
182 pilotes français honorés de ce titre d’As.
Cette propagande a aussi autorisé le
développement de l’aviation et a considéré celle-ci comme un instrument de
puissance à part entière de la nation.
Le culte des As disparut progressivement
à la fin de la guerre. Il faut dire aussi qu’à la sortie de la guerre, il
existait des escadrilles comprenant une centaine d’appareils. Puis l’essor des
raids aériens, des traversées, par la suite, contribua à ce que le culte vouée
à une aviation militaire, destructrice, se transforma en un culte à l’aviation
de découverte, de vitesse et de voyage.
La conquête d’une identité
Dès le débit de la guerre, les aviateurs
ont voulu se trouver une identité qui leur était propre. Il fallait se
distinguer des autres soldats de l’armée française à qui ont avait imposé le ‘’bleu
horizon’’ dès 1915.
C’est pour cela que les pilotes portent
des uniformes loin d’être dans la ligne de la réglementation militaire, on
pourrait même dire, qu’ils ont adopté un rapport différent avec l’uniforme.
On voit apparaître aussi les insignes,
les cocardes sur les avions. Il faut bien sûr s’identifier, mais cela renforce
aussi la cohésion dans les escadrilles.
La chasse et ses chasseurs vont ajouter
aussi des insignes, décorations personnels aux insignes, décorations
collectifs. Un chasseur ne peut pas rester anonyme.
On peut voir des dessins humoristiques
et même morbides.
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(La mort qui fauche - Insigne de l'escadrille de chasse 94, France 1918) |
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(Tête de fillette - Insigne de l'escadrille d'observation BR 221, France 1918) |
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(Chimère - Insigne de l'escadrille de chasse 65, France vers 1917-18) |
Autour
de ces huit axes de la vie d’un pilote, l’exposition propose aussi un parcours
sensoriel où le toucher, l’ouïe et l’odorat sont sollicités. Cette partie de
l’exposition est faite en partenariat avec l’association Percevoir.
Deux modules distincts, dans l’obscurité,
sont dédiés à l’écoute des récits d’aviateurs. Plusieurs extraits sont lus et l’obscurité
aide à une meilleure écoute.
Le visiteur pourra également voir,
toucher, et même sentir un échantillon de toile d’avion sur une reproduction d’un
morceau d’aile à l’échelle 1. Il pourra découvrir les différentes phases
successives de l’entoilage.
Des visionneuses stéréoscopiques 3D
permettent de mieux apprécier les conditions de vol d’un aviateur.
Une représentation en relief de deux
insignes d’escadrille enfermés dans des boites permet une approche tactile.
Le visiteur pourra aussi découvrir le
bruit caractéristique du moteur Benz BZ IV d’un biplace allemand (LVGC.VI) lors
d’une présentation sonore spéciale.
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(Album de photographies d'un pilote de l'escadrille F 63) |
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(Sous les cocardes - Album de Marcel Jeanjan paru en 1919 - Il était pilote dans l'escadrille de reconnaissance 33) |
Merci au Musée de l'Air et de l'Espace
Crédit : Plaquette du visiteur
Stéphane Sebile / Spacemen1969
Space Quotes - Souvenirs d'espace