Parfois,
on découvre certaines choses, certaines histoires par hasard.
J’ai
acquis un lot de photos de presse des années 1960, et pendant que les
nettoyais et les scannais, une de ces photos m’a interpellée. Elle montrait
le visage d’un jeune militaire, Richard G. Harmon. La légende indiquait qu’il
était mort dans l’incendie d’une ‘’space cabin fire’’ en 1967.
Après
quelques recherches et quelques mails échangés, je vous propose l’histoire de
ce jeune homme, enfin je devrai dire de ces jeunes hommes, car ils étaient
deux.
Incendie à Brooks AFB du 31 janvier
1967
Mardi 31 janvier 1967, deux militaires
de l’US Air Force trouvent la mort dans l’incendie de la chambre à pression de
la base Brooks AFB de San Antonio dans le Texas.
Il s’agit du 2ème Classe William F.
Bartley, Jr (airman 2/C) originaire d’Indianapolis et du 3ème
Classe (airman 3/C) Richard G. Harmon, originaire d’Auburn – les
deux hommes avaient 20 ans.
Ce même jour, sont enterrés Gus Grissom,
Edward White et Roger Chaffee, tous trois membres d’Apollo 1 et morts quatre
jours auparavant lors de l’incendie de leur capsule pendant une simulation au
sol.
Brooks AFB était un des centres clés de
la recherche en médecine spatiale dans les années 1960 et 1970 pour l’US Air Force School of Aerospace Medecine (USAFSAM).
Un bâtiment spécial y était dédié, le Building 160 ou Altitude Laboratory. Une
partie du programme médical Gemini-MOL s’y déroulait. Brooks AFB a continué d'accueillir l'USAFSAM jusqu'en juin 2011, date à laquelle à la été transférée sur la base de Wright-Petterson à Dayton dans l'Ohio.
Lors d’une expérimentation dans la
chambre / caisson à pression (caisson hyperbare) du Building 160 de la base, un
incendie s’est déclenché avec une déflagration, dans un environnement concentré
à 100% d’oxygène pur.
Cette expérience consistait à étudier le
comportement de 16 lapins dans cette chambre à 100% d’oxygène pur, et qui avait
une pression intérieure équivalente à une altitude de 6 000 mètres.
L’expérience devait durer 60 jours –
l’accident a eu lieu le deuxième jour.
Les deux militaires effectuaient des
prises de sang sur les lapins lorsqu’un incendie s’est brutalement déclenché –
on parle de flash fire – et il a
entièrement embrasé l’intérieur de la chambre.
Les deux hommes, brûlés à 95% de leur
corps, ont été extraits de la cabine moins de 5 minutes après le début de
l’incendie, et sont morts peu de temps après malgré les soins apportés sur
place par les équipes médicales.
Cet accident, similaire à celui de la
capsule Apollo 1 qui s’était déroulé 4 jours plus tôt au Kennedy Space Center,
a mis cruellement en lumière les dangers inhérents aux simulations effectuées
sous un air à 100% d’oxygène pur.
La NASA avait déjà eu quelques incidents
et accidents lors de simulations à 100% d’oxygène pur durant le programme
Mercury et Gemini, ainsi que l’US Air Force et l’US Navy (objets d’un prochain
article). Des recommandations avaient même été faites afin de changer la
composition de l’air respirable dans les capsules, mais comme il n’y avait pas
eu d’accident en vol, la NASA avait mis de côté cette solution, qui était à la
fois coûteuse et complexe.
L’avantage de l’oxygène pur est qu’il ne
faut qu’un seul réservoir de stockage seulement et un système d’exfiltration de
l’air plus simple qu’un air mélangé en oxygène et azote. De plus, cela était
plus simple au niveau des pressions des capsules avec de l’oxygène pur.
Richard G. Harmon était né le 17
novembre 1946 à Auburn (NY). Les journaux locaux ont beaucoup parlé de cet
enfant du pays, dont le père était une personnalité locale importante – il
était le receveur principal (surintendant) de la poste d’Auburn.
Le Congressman d’Auburn, Samuel S.
Stratton, s’est investit à plusieurs reprises dans l’enquête chargée de
déterminer les causes de cet accident. Les élections approchant, ce congressman
a aussi profité de cette tragédie et de celle d’Apollo 1 pour ce faire un peu
de publicité.
Il a déclaré par l’intermédiaire d’une
lettre publique adressée aux responsables de l’enquête ceci : ‘’C’est parce que l’US Air Force joue un rôle
primordiale dans le programme spatial américain – notamment avec le programme
MOL (qui n’était pas encore abandonné = ndlr) – je pense qu’il est de notre
responsabilité, et aussi celle du comté, de comprendre cet accident et ce qui a
causé celui-ci, et de comprendre les effets désastreux de l’oxygène pur dans
cet incendie, et d’assurer à tous les américains que tout sera fait pour que
cela ne se reproduise plus. Nous ne pouvons perdre de vue que ces trois
astronautes qui sont morts dans des circonstances similaires étaient aussi des
militaires, et c’est notre propre responsabilité d’assurer la sécurité de tous
les militaires.’’
Le 1er février 1967, l’US Air
Force décide d’arrêter temporairement toute utilisation d’oxygène pur à 100%
dans ses essais. La NASA, quand à elle, reste très silencieuse à ce sujet, et
la seule déclaration qui sera faite, est d’attendre les premiers résultats de
l’enquête.
Le 22 février 1967, un rapport d’enquête
est donné concernant l’incendie de Brooks AFB.
Le voici résumé d’après sa publication
du 25 février dans le journal local de la ville d’Auburn :
- L’expérience
avec les lapins consistait à les mettre sous différentes pressions simulant
différentes altitudes et de faire des prélèvements sanguins afin d’examiner les
globules rouges (étude sur la décalcification osseuse chez les pilotes et
astronautes).
- Le
caisson / chambre à pression mesurait 3,65 mètres de long sur 1,50 mètre de
large.
- La
simulation devait durer 30 minutes (expérience de 30 minutes / jour) sous
oxygène pur à 100%
- Il
y avait un sas entre la chambre et la porte de sortie de 1 mètre environ.
- La
porte avait été modifiée en 1962 après un incendie qui n’avait pas fait de
victime.
- Du
téflon (matière ininflammable) recouvrent les parois de cette chambre.
- Des
extincteurs ont été placés à proximité de la porte d’entrée, qui elle-même,
possédait une vitre pour une observation extérieure.
L’incendie s’est déclenché 5 minutes
après l’entrée des deux hommes à l’intérieur du caisson alors qu’ils
procédaient au ramassage de l’urine et nettoyaient les excréments dans les
cages des lapins – le nettoyage s’effectuant à l’aide de lingettes en coton
ainsi que des éponges et des brosses.
Un troisième homme était à l’extérieur
au niveau de la console de commandes. Il n’a entendu aucun cri annonçant
l’incendie – il a juste entendu un ‘’clang’’ qui lui a fait pensé au
bruit d’une cage qui tombe, ainsi qu’un bruit sourd.
Il sort alors de la salle de contrôle
pour voir par la fenêtre du caisson. Il voit des flammes et crie ‘’Au
Feu’’, et retourne à la console pour purger l’oxygène du caisson et
redonner une atmosphère normale. Il était impossible d’ouvrir la porte à cause
de la pression qui y régnait, équivalente alors à 6 000 mètres d’altitude.
Un autre homme se saisit d’un extincteur
et commence à le vider sur la porte afin qu’elle ne soit pas trop chaude
lorsque l’on pourrait ouvrir celle-ci.
L’enquête détermina que l’incendie avait
été probablement causé par les lamelles du système d’air conditionné qui se
trouvait sur le caisson. Un encrassage dû à la graisse et les saletés
accumulées sur ces lamelles ont fait que celles-ci ont été échauffées et que
l’oxygène pur a été le facteur aggravant ce jour-là, déclenchant l’incendie qui
allait tuer Bartley et Harmon.
Le rapport pointe du doigt neuf
dysfonctionnements majeurs :
1) Aucune
prévention, instructions ou procédures contre un incendie accidentel. Seul un
panneau indiquait ‘’Ne pas entrer avec des allumettes ou un briquet’’. D’ailleurs,
personne n’a demandé aux deux hommes qui étaient rentrés s’ils avaient des
objets dangereux.
2) Même
si on savait qu’il ne fallait pas rester plus de 30 minutes, il n’y avait
personne pour les surveiller, vérifier le temps, ni aucune caméra.
3) Même
si on peut comprendre que des limitations de poids et des contraintes
techniques pouvaient imposer ce choix de 100% d’oxygène pur, cela ne devrait
pas s’appliquer aux simulations au sol, et donc le choix de l’usage d’oxygène
pur est malvenu.
De plus, les deux hommes ne portaient pas de chaussures, ni de tenues adaptées
spécialement pour un travail sous oxygène pur, et les cages n’étaient pas non
plus en matériaux spéciaux.
4) Brooks
AFB avait pourtant reçu une étude/rapport d’Atlantic Research Corp (ARC) en août 1965, indiquant que les
éponges utilisées (et encore utilisées en ce funeste jour de 1967) avaient 60
fois plus de chance de prendre feu en saturation d’oxygène pur qu’en air
normal. On n’a retrouvé aucunes des éponges utilisées après l’incendie, elles
avaient été toutes consumées.
5) Pas
d’entraînement spécifique à l’extinction d’un feu malgré les recommandations
déjà données par ARC dans son rapport de 1965.
6) Pas
d’extincteurs automatiques et/ou manuels à l’intérieur du caisson, toujours
malgré les recommandations de l’ARC, alors que ce système avait été mis en
place dans la plus grande des chambres à pression de Brooks AFB.
7) Les
deux hommes sont entrés avec un type de brosse susceptible de déclencher de
l’électricité statique.
8) Les
vêtements des deux hommes n’étaient pas adaptés. Les uniformes en coton
utilisés brûlent 30 fois plus vite sous oxygène pur qu’en atmosphère normale.
La chaleur brûle l’intérieur des uniformes et brûle donc la peau.
9) Malgré
les recommandations de l’ARC, aucune étude sérieuse concernant la combustion
des matériaux sous oxygène pur n’a débuté.
Le rapport fait le rapport entre
l’accident de l’équipage d’Apollo 1 et celui-ci qui lui est très
similaire :
1) Dans
les deux cas, les incendies ont été très intenses par endroits et très modérés
à d’autres.
2) Dans
les deux cas, la température à certains endroits est montée à plus de
1 500° C, allant parfois à 2 000° C.
3) Dans
les deux cas, les papiers retrouvés près des ‘’points chauds’’ ont été
retrouvés brûlés de manière similaires.
4) Dans
les deux cas, il y avait le même type d’éponge utilisée.
5) Dans
les deux cas, les tenues portées par les hommes ont été brûlées.
6) Dans
les deux cas, les températures les plus extrêmes ont été observées près des
arrivées d’oxygène.
7) Dans
les deux cas, on a retrouvé des traces d’usures et de craquelures de certains
matériaux causées par l’utilisation de l’oxygène pur à différentes pressions.
Le Building 160 a été renommé Harmon
Bartley Altitude Laboratory en hommage.
William F. Bartley Jr est enterré au Crown Hill National Cemetery
d’Indianapolis (Marion County).
Richard G. Harmon est enterré au Saint
Joseph Catholic Cemetery d’Auburn (Cayuga County).
Concernant les accidents antérieurs avec
l’oxygène pur, je ferai un article prochainement.
Sources et crédits : Collection
Stéphane Sebile / Spacemen1969
Space Quotes –
Souvenirs d’espace
Historic American Buildings Survey
Brooks AFB History
Iowan Daily
Citizen Advertiser Auburn
Daily Illini
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