dimanche 6 septembre 2015

L'incendie à Brooks AFB du 31 janvier 1967


Parfois, on découvre certaines choses, certaines histoires par hasard.
J’ai acquis un lot de photos de presse des années 1960, et pendant que les nettoyais et les scannais, une de ces photos m’a interpellée. Elle montrait le visage d’un jeune militaire, Richard G. Harmon. La légende indiquait qu’il était mort dans l’incendie d’une ‘’space cabin fire’’ en 1967.

Après quelques recherches et quelques mails échangés, je vous propose l’histoire de ce jeune homme, enfin je devrai dire de ces jeunes hommes, car ils étaient deux.


Incendie à Brooks AFB du 31 janvier 1967

Mardi 31 janvier 1967, deux militaires de l’US Air Force trouvent la mort dans l’incendie de la chambre à pression de la base Brooks AFB de San Antonio dans le Texas.
Il s’agit du 2ème Classe William F. Bartley, Jr (airman 2/C) originaire d’Indianapolis et du 3ème Classe (airman 3/C) Richard G. Harmon, originaire d’Auburn – les deux hommes avaient 20 ans.
Ce même jour, sont enterrés Gus Grissom, Edward White et Roger Chaffee, tous trois membres d’Apollo 1 et morts quatre jours auparavant lors de l’incendie de leur capsule pendant une simulation au sol.

Brooks AFB était un des centres clés de la recherche en médecine spatiale dans les années 1960 et 1970 pour l’US Air Force School of Aerospace Medecine (USAFSAM). Un bâtiment spécial y était dédié, le Building 160 ou Altitude Laboratory. Une partie du programme médical Gemini-MOL s’y déroulait. Brooks AFB a continué d'accueillir l'USAFSAM jusqu'en juin 2011, date à laquelle à la été transférée sur la base de Wright-Petterson à Dayton dans l'Ohio.

Lors d’une expérimentation dans la chambre / caisson à pression (caisson hyperbare) du Building 160 de la base, un incendie s’est déclenché avec une déflagration, dans un environnement concentré à 100% d’oxygène pur.
Cette expérience consistait à étudier le comportement de 16 lapins dans cette chambre à 100% d’oxygène pur, et qui avait une pression intérieure équivalente à une altitude de 6 000 mètres.
L’expérience devait durer 60 jours – l’accident a eu lieu le deuxième jour.
Les deux militaires effectuaient des prises de sang sur les lapins lorsqu’un incendie s’est brutalement déclenché – on parle de flash fire – et il a entièrement embrasé l’intérieur de la chambre.

Les deux hommes, brûlés à 95% de leur corps, ont été extraits de la cabine moins de 5 minutes après le début de l’incendie, et sont morts peu de temps après malgré les soins apportés sur place par les équipes médicales.
(Photos des deux hommes parues dans plusieurs journaux) 
Cet accident, similaire à celui de la capsule Apollo 1 qui s’était déroulé 4 jours plus tôt au Kennedy Space Center, a mis cruellement en lumière les dangers inhérents aux simulations effectuées sous un air à 100% d’oxygène pur.

La NASA avait déjà eu quelques incidents et accidents lors de simulations à 100% d’oxygène pur durant le programme Mercury et Gemini, ainsi que l’US Air Force et l’US Navy (objets d’un prochain article). Des recommandations avaient même été faites afin de changer la composition de l’air respirable dans les capsules, mais comme il n’y avait pas eu d’accident en vol, la NASA avait mis de côté cette solution, qui était à la fois coûteuse et complexe.
L’avantage de l’oxygène pur est qu’il ne faut qu’un seul réservoir de stockage seulement et un système d’exfiltration de l’air plus simple qu’un air mélangé en oxygène et azote. De plus, cela était plus simple au niveau des pressions des capsules avec de l’oxygène pur.

Richard G. Harmon était né le 17 novembre 1946 à Auburn (NY). Les journaux locaux ont beaucoup parlé de cet enfant du pays, dont le père était une personnalité locale importante – il était le receveur principal (surintendant) de la poste d’Auburn.
Le Congressman d’Auburn, Samuel S. Stratton, s’est investit à plusieurs reprises dans l’enquête chargée de déterminer les causes de cet accident. Les élections approchant, ce congressman a aussi profité de cette tragédie et de celle d’Apollo 1 pour ce faire un peu de publicité.
Il a déclaré par l’intermédiaire d’une lettre publique adressée aux responsables de l’enquête ceci : ‘’C’est parce que l’US Air Force joue un rôle primordiale dans le programme spatial américain – notamment avec le programme MOL (qui n’était pas encore abandonné = ndlr) – je pense qu’il est de notre responsabilité, et aussi celle du comté, de comprendre cet accident et ce qui a causé celui-ci, et de comprendre les effets désastreux de l’oxygène pur dans cet incendie, et d’assurer à tous les américains que tout sera fait pour que cela ne se reproduise plus. Nous ne pouvons perdre de vue que ces trois astronautes qui sont morts dans des circonstances similaires étaient aussi des militaires, et c’est notre propre responsabilité d’assurer la sécurité de tous les militaires.’’

Le 1er février 1967, l’US Air Force décide d’arrêter temporairement toute utilisation d’oxygène pur à 100% dans ses essais. La NASA, quand à elle, reste très silencieuse à ce sujet, et la seule déclaration qui sera faite, est d’attendre les premiers résultats de l’enquête.


Le 22 février 1967, un rapport d’enquête est donné concernant l’incendie de Brooks AFB.
Le voici résumé d’après sa publication du 25 février dans le journal local de la ville d’Auburn :

- L’expérience avec les lapins consistait à les mettre sous différentes pressions simulant différentes altitudes et de faire des prélèvements sanguins afin d’examiner les globules rouges (étude sur la décalcification osseuse chez les pilotes et astronautes).
- Le caisson / chambre à pression mesurait 3,65 mètres de long sur 1,50 mètre de large.
- La simulation devait durer 30 minutes (expérience de 30 minutes / jour) sous oxygène pur à 100%
- Il y avait un sas entre la chambre et la porte de sortie de 1 mètre environ.
- La porte avait été modifiée en 1962 après un incendie qui n’avait pas fait de victime.
- Du téflon (matière ininflammable) recouvrent les parois de cette chambre.
- Des extincteurs ont été placés à proximité de la porte d’entrée, qui elle-même, possédait une vitre pour une observation extérieure.

L’incendie s’est déclenché 5 minutes après l’entrée des deux hommes à l’intérieur du caisson alors qu’ils procédaient au ramassage de l’urine et nettoyaient les excréments dans les cages des lapins – le nettoyage s’effectuant à l’aide de lingettes en coton ainsi que des éponges et des brosses.

Un troisième homme était à l’extérieur au niveau de la console de commandes. Il n’a entendu aucun cri annonçant l’incendie – il a juste entendu un ‘’clang’’ qui lui a fait pensé au bruit d’une cage qui tombe, ainsi qu’un bruit sourd.
Il sort alors de la salle de contrôle pour voir par la fenêtre du caisson. Il voit des flammes et crie ‘’Au Feu’’, et retourne à la console pour purger l’oxygène du caisson et redonner une atmosphère normale. Il était impossible d’ouvrir la porte à cause de la pression qui y régnait, équivalente alors à 6 000 mètres d’altitude.
Un autre homme se saisit d’un extincteur et commence à le vider sur la porte afin qu’elle ne soit pas trop chaude lorsque l’on pourrait ouvrir celle-ci.

L’enquête détermina que l’incendie avait été probablement causé par les lamelles du système d’air conditionné qui se trouvait sur le caisson. Un encrassage dû à la graisse et les saletés accumulées sur ces lamelles ont fait que celles-ci ont été échauffées et que l’oxygène pur a été le facteur aggravant ce jour-là, déclenchant l’incendie qui allait tuer Bartley et Harmon.


Le rapport pointe du doigt neuf dysfonctionnements majeurs :

1) Aucune prévention, instructions ou procédures contre un incendie accidentel. Seul un panneau indiquait ‘’Ne pas entrer avec des allumettes ou un briquet’’. D’ailleurs, personne n’a demandé aux deux hommes qui étaient rentrés s’ils avaient des objets dangereux.
2) Même si on savait qu’il ne fallait pas rester plus de 30 minutes, il n’y avait personne pour les surveiller, vérifier le temps, ni aucune caméra.
3) Même si on peut comprendre que des limitations de poids et des contraintes techniques pouvaient imposer ce choix de 100% d’oxygène pur, cela ne devrait pas s’appliquer aux simulations au sol, et donc le choix de l’usage d’oxygène pur est malvenu.
De plus, les deux hommes ne portaient pas de chaussures, ni de tenues adaptées spécialement pour un travail sous oxygène pur, et les cages n’étaient pas non plus en matériaux spéciaux.
4) Brooks AFB avait pourtant reçu une étude/rapport d’Atlantic Research Corp (ARC) en août 1965, indiquant que les éponges utilisées (et encore utilisées en ce funeste jour de 1967) avaient 60 fois plus de chance de prendre feu en saturation d’oxygène pur qu’en air normal. On n’a retrouvé aucunes des éponges utilisées après l’incendie, elles avaient été toutes consumées.
5) Pas d’entraînement spécifique à l’extinction d’un feu malgré les recommandations déjà données par ARC dans son rapport de 1965.
6) Pas d’extincteurs automatiques et/ou manuels à l’intérieur du caisson, toujours malgré les recommandations de l’ARC, alors que ce système avait été mis en place dans la plus grande des chambres à pression de Brooks AFB.
7) Les deux hommes sont entrés avec un type de brosse susceptible de déclencher de l’électricité statique.
8) Les vêtements des deux hommes n’étaient pas adaptés. Les uniformes en coton utilisés brûlent 30 fois plus vite sous oxygène pur qu’en atmosphère normale. La chaleur brûle l’intérieur des uniformes et brûle donc la peau.
9) Malgré les recommandations de l’ARC, aucune étude sérieuse concernant la combustion des matériaux sous oxygène pur n’a débuté.


Le rapport fait le rapport entre l’accident de l’équipage d’Apollo 1 et celui-ci qui lui est très similaire :

1) Dans les deux cas, les incendies ont été très intenses par endroits et très modérés à d’autres.
2) Dans les deux cas, la température à certains endroits est montée à plus de 1 500° C, allant parfois à 2 000° C.
3) Dans les deux cas, les papiers retrouvés près des ‘’points chauds’’ ont été retrouvés brûlés de manière similaires.
4) Dans les deux cas, il y avait le même type d’éponge utilisée.
5) Dans les deux cas, les tenues portées par les hommes ont été brûlées.
6) Dans les deux cas, les températures les plus extrêmes ont été observées près des arrivées d’oxygène.
7) Dans les deux cas, on a retrouvé des traces d’usures et de craquelures de certains matériaux causées par l’utilisation de l’oxygène pur à différentes pressions.

Le Building 160 a été renommé Harmon Bartley Altitude Laboratory en hommage.

William F. Bartley Jr est enterré au Crown Hill National Cemetery d’Indianapolis (Marion County).
Richard G. Harmon est enterré au Saint Joseph Catholic Cemetery d’Auburn (Cayuga County).

Concernant les accidents antérieurs avec l’oxygène pur, je ferai un article prochainement.


Sources et crédits : Collection Stéphane Sebile / Spacemen1969
                               Space Quotes – Souvenirs d’espace
                               Historic American Buildings Survey
                               Brooks AFB History
                               Iowan Daily
                               Citizen Advertiser Auburn
                               Daily Illini                     

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