jeudi 5 janvier 2023

Un Jour - Un Objet Spatial n° 00569 / Petite histoire de l'Observatoire Janssen au Mont Blanc avec quelques cartes postales


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Un Jour - Un Objet Spatial n° 00569
Observatoire Janssen au Mont Blanc
Quelques cartes postales et documents

'' Quelle station que cette cime ! Quels levers, quels couchers, quelles nuits ! ''
                                                                                                                   Jules Janssen

Le saviez-vous ? 

Le sommet du Mont Blanc a été occupé par un observatoire astronomique opérationnel en 1895 et 1909.
C'est l'astronome français, Jules Janssen (1824-1907) qui en est à l'origine et c'est pourquoi il porte son nom. Et cette année, cela fera 130 ans que sa construction commençait.

Je ne vais pas revenir sur l'extraordinaire carrière de Jules Janssen et de ses apports inestimables à l'astronomie (spectrographie, révolver astronomique, création de l'Observatoire de Meudon, etc.... - il a même quitté le Siège de Paris en ballon-monté pour assister à une éclipse totale du Soleil à Oran : voir ici). Il a été Président de la Société Astronomique de France (SAF) de 1895 à 1897, et, depuis 1897, la SAF honore un astronome français ou étranger par le Prix Jules Janssen, qui est le plus célèbres des prix décernées par la SAF : https://saf-astronomie.fr/prix-janssen/ ).
Vous trouvez une très bonne biographie de Jules Janssen et de ses travaux ici :
Jules Janssen est une véritable célébrité en France à son époque, et il servira ''de support publicitaire'' comme ici, où il est une des 84 figures de la collection de cartes promotionnelles Les bienfaiteurs de l'humanité (fin 19ème siècle) - ici pour le chocolat Guérin-Boutron (mais ces cartes existent pour d'autres marques) ou pour le vin-liqueur Mariani, très en vogue aussi à la fin du 09ème, et qui avait édité, en plusieurs volumes, une collection d'autographes imprimés de personnages historiques de l'époque (avec de très belles gravures comme portraits).
Je vous fais un résumé rapide de l'histoire de cet observatoire dont j'avais appris l'existence en trouvant une carte postale il y a quelques années en visitant le Musée Alpin de Chamonix. Et puis, j'en ai trouvé d'autres, des anciennes. C'est surtout pour le plaisir de vous présenter cet observatoire hors du commun au travers de quelques cartes postales (et autres documents) 😉

Cet article n'est bien sûr pas exhaustif, et que ''pour seule prétention'' de vous montrer qu'on peut raconter l'histoire d'un lieu, d'un événement, au travers d'objets - je ne suis pas historien j'essaie ici de vous raconter cette formidable histoire au travers de documents que j'ai récupérés au fil des années. Et l'opportunité m'est donnée ici d'en montrer une partie pour ce sujet 😉

Dès qu'on a pu accéder au sommet du Mont Blanc (par Jacques Balmat et Michel Gabriel Paccard en 1786), les scientifiques ont compris quels avantages ils pouvaient en tirer.

Ce n'est pas le premier observatoire installé sur la route du Mont Blanc, le scientifique Joseph Vallot (1841-1925) y avait installé ''une cabane'' observatoire météorologique à 4 520 mètres d'altitude au début des années 1890. L'observatoire Janssen, essentiellement dédié à l'astronomie, viendra en complément de cet observatoire  (une construction sur un flanc de montagne ou de colline n'est pas l'idéal pour l'astronomie).
Mais l'observatoire Janssen était plus ambitieux, puisqu'il se trouverait au sommet du Mont Blanc - à l'époque mesuré à 4 810 mètres d'altitude. Il a été très en avance sur son temps, malgré une utilisation courte (10 années).

Le 13 octobre 1888, âgé de 64 ans, Jules Janssen, directeur de l'observatoire de Meudon, effectue sa première ascension aux Grands Mulets situés à 3 050 mètres d'altitude - Ne pouvant faire l'ascension seule à cause d'un handicap (il claudique depuis l'enfance suite à un accident), il l'effectue avec une chaise échelle (avec repose pieds) de son invention accompagné de guides porteurs de Chamonix.
Il s'y rend pour continuer des observations du spectre solaires qu'il avait commencés au Pic du Midi. Cette chaise spéciale est la réunion de deux brancards et d'un siège suspendu au milieu, et peut être portée par 4 ou 6 porteurs. Un traineau de transport est utilisé pour aidé à ce déplacement.
Il existe une célèbre photo, prise par l'alpiniste anglais Edward Whymper (1840-1911) qui montre Janssen et sa chaise échelle. La revue La Nature publiera un dessin tirée de cette photo dans son numéro du 19 octobre 1895.
(Photo d'Edward Whimper - éclaircie et retouchée par mes soins)
(1895 : revue La Nature du 19 octobre)
Fort de cette première expérience, il décide d'aller plus haut et d'atteindre le sommet du Mont Blanc. Il repasse aux Grands Mulets avec sa chaise échelle, puis par l'Arête des Bosses en traineau. Il atteint le sommet le 18 août 1890, il à 66 ans. Il fait des études spectroscopiques, et c'est là qu'il imagine un projet d'observatoire au sommet du Mont Blanc. Pour lui, en tirant partie de (ou grâce à) l'altitude du Mont Blanc, on pouvait avoir des études exceptionnelles de spectrographies des atmosphères planétaires et solaire pouvant nous renseigner sur leurs compositions chimiques.

Il s'occupe de ce projet dès son retour, obtenant déjà un accord de Gustave Eiffel pour une coupole d'acier. Mais le projet de coupole est ambitieux, trop ambitieux, car l'ancrage doit se faire à plus de 10 mètres de profondeur dans la roche, et après des sondages infructueux en 1891 par un ingénieur suisse à la demande d'Eiffel, ce projet est abandonné (impossible d'effectuer des ancrages dans la roche).

Janssen ne se laisse pas abattre et imagine une construction de l'observatoire directement posé sur la neige.

Un petit édicule en bois avait été posé sur le sommet à la fin 1891, mais surtout, il avait été posé pour voir comment ''il allait tenir'' dans les conditions extrêmes de l'environnement au sommet. L'observatoire Janssen sera construit juste à côté. Ne pouvant forer pour installer des assises solides, comme nous l'avons vus plus haut (raison pour laquelle Eiffel déclina finalement le projet), il fallait en effet voir les effets des glissements de neige et de la pression exercée par celle-ci, pour le futur observatoire qui serait ''posé'' à même le sommet.
(revue La Nature, 1891)

L'année 1892 se passe à faire des tests de résistance des matériaux de l'observatoire à l'Observatoire de Meudon, qui est dessiné par l'architecte Audremer.
(1892 : photo de la revue Les Progrès de l'Astronomie - Evolution des Mondes
1893 : dessin de la revue La Nature du 7 octobre
)
L'observatoire a une ossature en bois recouverte de plaques de tôles de la marque Kosmos. Cette double paroi protège, quelque peu, du froid.
Pour sa stabilité, il est enfoncé pour moitié dans la neige et a 4 vérins, accessibles par trappes, pour pouvoir compenser l'inclinaison - il possède deux étages donc avec un escalier en spirale, et il possède une petite terrasse d'observation, avec sa tourelle d'observation très caractéristique. On a même comparé l'Observatoire Janssen a un paquebot des glaces.
Le premier étage, sorte de pyramide tronquée de 10 x 5 m, et 7 m de haut, est donc enfoui sous la neige durcie, avec juste des baies pour éclairer les pièces et qui sont munies de volets hermétiques.

Le poids total s'élevait aux alentours de 15 tonnes !

Entièrement construit et testé à Meudon, l'Observatoire est ensuite entièrement démonté pour être transporté.

Les pièces de l'Observatoire sont d'abord emmenées en chemin de fer à Chamonix, puis les pièces détachées sont montées aux Rochers Rouges (4 500 mètres d'altitude) à dos d'homme, de traineau. Près de 700-800 rotations (par porteur) seront nécessaires. Un chalet provisoire a été construit.
Au Grand Rocher Rouge (aussi à 4 500 mètres), là aussi, un chalet provisoire est construit pour habiter les ouvriers.
Les porteurs étaient payés au kilo transporté - certains battirent des records portant jusqu'à 3 fois ce qui était communément fait pour l'accompagnement de voyageur (donc aux alentours de 10 kg par porteur en tant normal).
Janssen imagina lui-même des instruments (comme des treuils spéciaux) pour faciliter le transport des très grosses charges.

Pour l'année 1893, c'est d'abord la récupération des pièces déposées l'année précédentes : on les retrouvera sous 8 mètres de neige !
C'est aussi la montée des grosses pièces de charpente de l'observatoire.

Le 11 septembre 1893, c'est la deuxième ascension de Janssen au Mont Blanc (à 69 ans) par les Grands Mulets (en siège échelle), le Corridor, le mûr de la côte, et les Rochers Rouges (en traineau). Il continue pour faire des observations de spectrographie solaire.
La Nature du 7 octobre 1893

1894 Continuation de la construction : Articles de L'Illustration du 21 juillet 1894
1895 voit la mise en service de l'observatoire avec quasiment l'achèvement des travaux commencés en 1892, et avec plusieurs installations d'appareils de mesures (météorographe mécanique à longue marche Richard avec 8 mois d'enregistrement continue, thermomètre, hygromètre, anémomètre...
(1894 : revue La Nature)
Jules Janssen (71 ans) fait sa 3ème et dernière ascension au Mont Blanc (toujours en chaise échelle et traineau). Il arrive à l'Observatoire le 11 septembre - celui-ci est inauguré le lendemain.

L'Observatoire Janssen est ''une véritable star'' à l'époque - de nombreux journaux en parlent et de très nombreuses cartes postales témoignent de cette célébrité !
(Les Annales du 4 septembre 1898)
Malgré tout, il reste très rustique quand même, et on peut dire que le confort n'était absolument pas la priorité des chercheurs qui l'utilisaient. Il existe peu de documents de l'intérieur. Sur les très rares documents existants, on y voit juste une sorte de fourneau pour la cuisine et des planches et caisses servant de table. Les séjours sur place étaient de toutes façon courts : le record est de 13 jours pour un même scientifique !

En 1896, on installe une grande lunette polaire de 33 cm de diamètre (2 verres et optiques des Frères Henry de Paris et le miroir du sidérostat de 70 kilos). Au foyer de la lunette, un oculaire micrométrique et des plaques de photographies. Mais il faut avouer que le manque de stabilité de l'Observatoire (sur vérins, rappelez-vous) n'a pas permis l'utilisation de la lunette dans des conditions optimales.
Celle-ci fut complété, en 1906, par un spectrographe (construit par l'astronome Millochau, lui aussi cde Meudon).
En 1897, tentative d'une nouvelle ascension par Janssen, mais blessé par une chute à l'Observatoire de Meudon, il n'y participera pas et dirigera l'expédition depuis Chamonix.

Le numéro du 1er septembre 1898 consacre un article à l'Observatoire, à son histoire et à JulesJanssen.

En 1899, on fait des essais de télégraphie à fils dénudés sur la glace (10 km de câbles entre les Grands Mulets et le Mont Blanc).
(Almanach Vermot 1899 à la date du 3 juillet)

1904 voit une tentative de photographie de la colonne solaire hors éclipse et l'installation d'un spectrographe au foyer de la grande lunette.
(gravure dans Almanach Nodot de 1906)
En 1906, on construit un abri séparé pour les touristes, et des travaux de nivellement du site de l'observatoire.

En 1907, un acte de vandalisme est commis contre l'Observatoire, ce qui contribuera à sa dégradation.

Le 23 décembre 1907, Jules Janssen s'éteint à Meudon à 83 ans. Sa disparition va ''accélérer'' la fin de l'Observatoire, qu'il tenait, on peut le dire, à bout de bras. Sans son créateur, son initiateur, il était difficile de le préserver. N'oublions pas que c'était un projet hors du commun qui n'existait que par la volonté et la ténacité d'un homme. Envers que contre tout.
Sa fille Antoinette, qui fût aussi son assistante, en témoigne dans cette carte datée de décembre 1906 (adressée à la femme de l'astronome Georges Le Cadet).

En 1909, conformément aux prévisions de Joseph Vallot, les glaciers, crevasses, glace et neige finissent par disloquer les restes de l'édifice qui cède sous la pressions combinée de ces éléments extérieurs. L'Observatoire avait glissé et s'était enfoncé dans la neige au cours des années. Il basculera du côté italien.

Seule la tourelle en bois a été préservée et elle se trouve au musée alpin à Chamonix. Une partie du matériel scientifique avait été récupéré auparavant par les équipes de Joseph Vallot et l'Observatoire démantelée en partie.

Pour la forme et les dimensions de l'observatoire Janssen, rien de telles que quelques cartes postales pour se faire une idée de cet incroyable bâtiment au sommet du Mont Blanc.

Lors de son exploitation, l'Observatoire Janssen a accueilli en moyenne 5 expéditions scientifiques par an pendant 10 ans, soit 50 expéditions entre 1896 (installation de la grande lunette) et 1906. Et ce sont donc environ 25 chercheurs (accompagnés de porteurs et assistants), principalement des astronomes, qui y montèrent pour : 

- de l'astronomie (étude de la lumière zodiacale / spectre solaire en invisible, ultraviolet et infrarouge / imagerie Vénus et Mercure / actinométrie / études de la couronne solaire sans éclipse, etc....).
- de la biologie (hyperglobulie d'altitude / études bactériologiques de la glace et de la neige, ...).
- de la météorologie (observations en continue de l'hygrométrie, pression, température, direction et vitesse du vent / ozone et électricité atmosphériques, ...).

Quoique ''décrié'' en son temps (surtout du fait de sa destruction très rapide, l'Observatoire Janssen était certainement  un projet très, trop ?, en avance sur son temps .

On trouve encore assez facilement des cartes postales montrant l'Observatoire (la plupart en N&B). Chamonix a profité de la célébrité de l'Observatoire et de nombreux éditeurs de cartes postales du coin, mais aussi de Suisse, ont régulièrement publié des cartes, même bien longtemps après la disparition de l'Observatoire (j'ai des cartes datées des années 1930 qui prouvent qu'on les vendaient encore aux touristes). En rassemblant beaucoup de cartes postales, j'ai remarqué que si les vues pouvaient être identiques (en général, le numéro catalogue de la photo est inscrit), on trouve de subtiles différences dans le recadrage, l'impression (N&B et couleur), inscriptions, etc...

J'aime bien essayé de trouver des cartes datant jusqu'à 1909, avec si possible le timbre et/ou cachet sur le côté vue. Les cartes n'ayant pas voyagées (donc neuves) sont bien sûr, le plus souvent, en bien meilleur état que celles qui ont voyagées.

Quelques exemples, qui montrent bien l'Observatoire Janssen.
Crédit : Collection Stéphane Sebile / Spacemen1969
             Space Quotes - Souvenirs d'espace
Note : La revue La Nature, fondée en 1873 par Gaston Tissandier, m'a fourni de nombreuses informations et illustrations pour cet article - j'ai la chance de posséder la plupart des numéros de 1880 à 1910
Sources : SAF, LESIA, Musée Alpin de Chamonix
               Un globe-trotter de la physique céleste par Françoise Launay

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